Année: 2010
Album: Donna – Les EP2PD de Lausanne [2010]
Auteur: Olivier Larvor
Résumé: Ou l’on apprend que je voyage beaucoup.
« Je ne sais plus quoi faire… vraiment… rien ne semble marcher avec eux »
Liza tapotait nerveusement le volant, le regard perdu par là.
« On a beau engager des mesures disciplinaires, leur enlever des jours de vacances, diminuer leur paie, les menacer…ils continuent quand même »
Mal à l’aise, elle finit par lâcher :
« Je crois qu’ils en ont vraiment rien à foutre ! »
Ca la dépassait complètement.
Elle ne percutait pas.
Que la majorité de nos employées libyens puissent s’en branler du boulot, et se pointent quand bon leur semblait.
Incompréhensible pour elle.
C’en était trop, j’éclatai de rire.
« J’adore ce pays ! »
Liza ricana pensant que je faisais de l’humour.
La conne.
J’étais très sérieux.
#######
La Libye était sur ma feuille de route 2010.
Je devais y déployer mon projet sensé réorganiser la fonction Ressource Humaine dans la boite.
Ils avaient appelé ça : « Go <machin> Initiative ».
C’était très trendy.
Si tu oubliais de mentionner « Go <machin> Initiative » dans une présentation, tu passais pour un sacré guignol.
« Et le Go <machin> initiative ?! » qu’ils demandaient, anxieux.
Fallait aussi ajouter : maturité et professionnalisation par l’implémentation de la méthodologie LEAN débouchant sur l’amélioration continue du service et la satisfaction de nos employés.
C’était le minimum et ça ne voulait rien dire.
Et pourtant, je l’affirme : ils y en avaient qui prenaient ce truc très au sérieux.
Ces crétins.
Ces fanatiques dangereux !
Ceux-là même en première ligne, menant une foule déchainée, avide de sang et de violences.
Pareil.
Je ne blague pas.
On était mal barres.
Maintenant, je connaissais tellement mon sujet que je pouvais blablater la journée entière en balançant des conneries dans le genre.
Mais quelle perte de temps.
Quelle débauche d’efforts et de moyens.
Cette vaste fumisterie ?
C’était perdu d’avance.
A peine atterri à Tripoli, je pris la mauvaise file d’attente au contrôle douanier.
Au pif, les panneaux qu’en arabe.
Evidemment, je n’ai jamais eu de bol pour ces choses-là.
On me remit en bout de queue.
Merde.
Ca prenait une plombe.
Ils faisaient passer les femmes en priorité.
S’il y en avait une qui leur plaisait bien, ils se mettaient à la baratiner.
Puis passaient le passeport à leurs collègues dans le box d’à côté, histoire de tuer le temps.
Déstabilisant tout le processus, ça n’avançait pas.
Lorsque ce fut mon tour, le douanier décida de prendre 5 mins de pause.
Il alluma sa clope pépère.
Dans son box.
Je poireautais toujours.
Il me fit finalement signe d’avancer et tamponna mon passeport sans trop regarder.
Tout ça pour ça…
Aucun des trois carrousels à bagages n’indiquait mon vol.
Les gens attendaient, se bousculaient, s’invectivaient.
Le bordel.
Je me mis au milieu et jetai des coups d’oeil à droite et à gauche espérant que quelque chose arrive.
Ma valise.
Là !
Je jouai des coudes pour m’en emparer.
Plus qu’à trouver mon chauffeur.
#######
« Moi, je sais faire de l’argent, c’est tout ! »
Roger était Segment Manager en Libye.
Le genre de type adorant montrer qu’il en avait des grosses.
“Je te plie quand je veux !” semblait-il dire en permanence.
S’il avait été un macaque, il aurait été de ceux balançant sa merde sur les autres primates pour afficher sa dominance.
L’alpha-male attaquant de suite à la jugulaire.
Peut-être dans une autre vie.
J’avais été invité à diner à l’hotel Rixos avec ce clown.
Roger avait passé la dernière demi-heure à nous expliquer comment il allait se rendre en Irak pour se procurer des bases de données géologiques pour ensuite les revendre à prix d’or aux compagnies pétrolières.
Sa combine nécessitait entre autre un voyage en voiture de 2000 kilomètres à travers la Jordanie.
Je n’avais pas vraiment compris pourquoi.
Je me faisais royalement chier, en plus la bouffe était dégueulasse.
Roger se tourna vers moi.
« Et toi Olivier, c’est quoi ton histoire ? »
Je le voyais déjà s’accroupir et chier par terre histoire d’avoir des munitions au cas où.
Gonflant le torse.
Vas-y, montre-moi ce que t’as dans le pantalon !
Qu’est-ce qu’il s’imaginait, hein ?
» Oh moi, rien, j’ai pas d’histoire. Je suis quelqu’un de très ennuyeux »
Dégonflé.
Le regard de Roger voulait tout dire.
Même pas digne de bouffer dans ses chiottes.
Déçu ne pas pouvoir me remettre à ma place.
Liza intervint pour changer de sujet.
« Vous savez si la situation s’améliore à Dubai ? »
#######
Le chauffeur m’attendait avec son panneau.
Je lui ai fait un petit signe de la main tout en souriant comme un débile.
Il ne broncha pas, l’oeil morne.
C’était un géant avec des paluches grandes comme des raquettes.
D’un mouvement de tête il m’invita à l’accompagner dehors.
Me coltinant mes bagages, j’avais du mal à le suivre.
Je me disais : « Tu parles d’un service », habitué à ce qu’on se précipite pour me décharger et me demander avec déférence comment j’avais voyagé.
Evidemment, Goliath s’était garé en bout de parking.
La plaie.
Ma putain de valise.
On se mit finalement en route.
Et là, le grand n’importe quoi.
J’avais entendu parler de la circulation et de la conduite désastreuse des Libyens, mais il fallait être sur place pour apprécier pleinement la chose.
Bon, je vous dis ça, c’est pas comme si c’était intéressant non plus.
Des zigzags, des accélérations brusques, des dépassements à l’aveuglette.
Ignorer le marquage au sol et les feux rouges.
Voir même circuler à contre sens.
Et pourtant, tout cela semblait fonctionner.
Mon chauffeur demeurait placide, jouant du klaxon comme moyen de communication.
Pas agressif hein.
Juste des petits coups histoire de se signaler aux autres.
De dire : »attention, je vais couper par là… fais gaffe, c’est moi que voilà ! ».
Tut tut.
Cette anarchie avait vraiment quelque chose de jubilatoire.
Je souriais.
#######
« Tu sais ce qu’ils font aussi ? »
La voiture de devant avait enclenché ses feux de détresses et s’était arrêté au milieu de la route.
Comme ça.
Son conducteur en descendit l’air de rien pour se diriger vers une petite échoppe. S’acheter des cigarettes ou une autre connerie, je me disais.
Liza contourna l’obstacle sans même mettre de clignotant.
Tut tut, ça klaxonait gentiment…
« Les hommes doivent passer un mois de l’année à l’armée… tous les ans ! C’est obligatoire et on ne peut rien y faire. C’est extrêmement pénible pour l’activité… tu comprends, à organiser avec les employés. Mais tu sais ce qu’ils font ? ils s’arrangent entre eux. Ils versent un petit bakchich à la caserne et restent à la maison à rien faire. Et nous, nous on les paye pendant ce temps-là !! On les paye à ne rien faire ! »
Je m’attendais à ce que Liza se mette à chialer de frustration d’un instant à l’autre.
Les rues n’étaient qu’une succession de boutiques pleines de babioles bon marché, de poubelles chinoises…
Et à l’extérieur, des hommes assis sur des chaises en plastiques se tapant la causette, passant le temps.
On approchait de la Guest House.
Un hotel 3 étoiles réservé uniquement aux employés.
On m’avait donné la chambre VIP.
Rien d’extraordinaire, vraiment.
« Tu comptes faire quelque chose ce week-end ? »
J’ai répondu :
« On doit me faire visiter Sabratha. »
#######
Roger répliqua immédiatement, en me balançant sa crotte dans la gueule.
« Tu as trop vu de films catastrophes, mon garçon. Tu penses que la terre va s’ouvrir, et que la lave va jaillir et qu’un raz-de-marée va recouvrir le tout ?! C’est ca ?! »
Il rigolait, méprisant.
Le connard.
C’était de ma faute, j’avais eu le malheur de l’ouvrir.
Lui dire qu’un jour ou l’autre, la nature reprendra ses aises et que tous ces constructions artificielles allaient rouiller faute d’argents.
Qu’est-ce que je n’avais pas fait là.
Un vrai con.
Je lui avais dit que son Dubai allait disparaitre.
Roger continua.
« Croyez-moi, c’est le bon moment d’acheter là-bas. Je suis sur un deuxième appartement. C’est le moment, l’économie va repartir. Les prix sont bas, mais ça va repartir ! C’est maintenant ! »
Je m’étais rendu sur Dubai à 4 reprises sur les 6 derniers mois.
C’était un four en été.
Des chaleurs extrêmes.
Ça n’empêchait pas les pakistanais et les indiens de travailler à l’extérieur sur les chantiers douze heures d’affilé minimum.
Il y en avait d’autres qui restaient dans les chiottes à humer ta merde pour pouvoir te tendre des serviettes.
T’avais aussi des femmes asiatiques qui appuyaient sur le bouton de l’ascenseur à ta place.
A part ça, on y bouffait très bien.
Choisis, ton camp camarade.
Roger ne pouvait plus s’arrêter.
« Ici aussi c’est le moment d’investir. Ils sont à un tournant là. Ils peuvent devenir le prochain Dubai. Ils ont tout ! Faut juste qu’ils arrêtent leurs conneries et qu’ils se mettent à travailler ».
Qu’ils arrêtent leurs conneries.
Qu’ils se mettent à travailler.
Je contractai mon sphincter.
« Quelqu’un veut du Thé ? » demanda Liza.
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Le site archéologique de Sabratha remontait à 500 ans avant J.C.
Un vestige de l’empire romain, une ville avec ses temples, son théâtre et ses toilettes publiques.
« Par-là, c’est le quartier des prostitués. » dit Ihab.
Il souriait l’air entendu.
La troisième fois qu’il m’en parlait.
Un vicieux celui-là.
Ihab faisait partie de l’équipe Personnel à Tripoli.
Il s’était porté volontaire pour me faire visiter le site.
Je me doutais bien qu’il espérait quelque chose en retour.
Je l’ignorais, préférant porter mon regard sur les ruines.#
Ce genre d’endroit me faisait toujours le même effet.
C’était toujours la même chose, je voyais la mort.
Partout.
Les hommes qui y avaient vécu.
C’était quoi l’intérêt autrement ?
Il ne reste plus rien de nous.
« Hey, prends-moi en photo ! »
Ihab avait escaladé un mur et avait agrippé les nichons d’une Venus décapitée.
J’aurais aimé que tout le monde voie ce que je voyais.
Derrière tout ça.
La mort bordel.
J’ai repensé à Roger et son Dubai.
Ses beaux appartements.
Tout ça.
Rien.
Pfffiit !
La puérilité de ma pensée était à pleurer.
Mais quand bien même, les choses les plus simples à comprendre m’animent le plus.
La mort.
Il n’y avait rien à répondre à cela.
Il n’y avait pas de parade ou de jeux de mots bien finauds.
Tout ça, tu te le prenais en pleine poire.
Un mur de brique.
J’ai repensé aussi à ces comportements cupides que les journaux relayaient ces dernières semaines.
Des prédateurs financiers qui mettaient des pays à genoux qu’ils écrivaient.
Des pays entiers !
Et pis les autres dans la rue en réaction.
Pour quoi faire ? Hein ?
Des appartements à Dubai.
Tu regardais devant toi et tu ne voyais rien.
Les murs en pierres de Sabratha.
C’est tout.
La mort était le meilleur argument à leur balancer.
Il n’y avait aucune parade, aucun jeux de mots, aucun argument.
Définitif.
La mort est politique.
La mort est de gauche.
Elle est sociale et collective.
Peu importe qui tu es, tous au même niveau.
Tu reçois invariablement le même traitement.
Alors, tes beaux appartements.
Rien.
Il n’en resterait rien.
Ton pognon.
Tes machins.
Tu m’entends Roger ?
Je me suis dit qu’on se devait d’exprimer ça à notre session d’enregistrement à Lausanne.
Violemment.
Il était temps de prendre parti.
Nous, les champions cyniques.
Les petits malins.
On se devait faire passer le message à ces connards de capitalistes.
Mettre des pays à genoux.
« La mort est de gauche, rejoins nous camarade ! Tu gagnes à tous les coups ! C’est infaillible ! »
Ouais, fallait leur montrer… depuis la Suisse !
La putain de crédibilité.
« Le quartier des prostitués est par là. », dit Ihab
Au loin une colonne s’élevant parmi les ruines.
Voilà ce que l’on faisait Fred et moi.
Je l’ai déjà dit.
On érige notre monument funéraire.
Notre tour foireuse.
Toutes nos productions.
Telle une bite pointant vers le ciel.
Espérant qu’elle se verra, qu’elle ressortira après notre mort.
Juste un temps.
Et c’était tout ce qu’il y avait à faire.
Notre investissement pour l’éternité.
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Postscriptum 1
J’avais comme une appréhension.
Un peu les chocottes.
Je pensais au vol Afriqiyah s’étant écrasé la veille sur la piste de Tripoli faisant 103 morts.
Seul un bébé de neuf mois avait survécu.
C’était ridicule, les probabilités d’avoir un accident au même endroit avec la même compagnie aérienne étaient infimes.
En plus c’était mon anniversaire.
J’avais 35 ans aujourd’hui.
Putain, fallait pas déconner !
Pour me calmer les nerfs, je pris le livret Afriqiyah dans la poche de devant.
Les films disponibles sur le système vidéo.
On y lisait chaque entrée en Arabe, Anglais et Français.
La traduction en Français semblait avoir été faite par un mauvais traducteur automatique.
Et lorsque je vis comment ils avaient orthographié une des bouses hollywoodiennes pour crétins, je fus pris d’un fou rire.
On y lisais :
English – The Transformer
Français – Les Transformateurs
Tout allait aller pour le mieux.
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Postscriptum 2
Un an et demi après ce voyage, je fus transféré sur Dubai.
Je me suis aussitôt installé sur la Palm avec accès prive sur la plage, piscine, pool bar et gym…
Les idéaux, hein ?
FIN