On ne va pas vous mentir, cette chanson nous rend euphoriques. Absolument exaltés. Faut nous voir. Notre chanson de « Stade » à caractère politique. Genre ca :
Pareil !
Putain, on s’y voit déjà.
La foule immense devant nous. Et nous, vachement concentrés, sérieux. On a un message à faire passer.
Les musiciens pros nous accompagnant, de gros américains ayant écumé les scènes du monde entier, tirent la gueule. Malgré l’expérience des années, ils sentent l’importance du moment.
On a un message à faire passer.
Derrière, dans les coulisses, le régisseur plateau tripote nerveusement le talkie-walkie. Il s’agit de pas se rater. Il le sait. La succession d’effets scéniques engagés pour l’occasion est un défi en soi. Il jette un coup d’œil à l’immense rideau cachant la moitié de la scène. Au bon moment, il le fera tomber.
Je regarde Fred l’air entendu. L’aboutissement d’une collaboration. Je fais un signe de tête à l’ingénieur du son. Il lance la bande play-back.
On a un message à faire passer.
Ça va mal !
C’est le message.
À peine la musique résonne dans les énormes enceintes qu’une femme à poil, peinturlurée couleur bleu électrique, entre sur scène et se met à danser… tendance moderne-jazz-contemporain… des mouvements de bras bien amples… des à-coups asymétriques du corps…
La Terre !
Elle souffre… la gonzesse en bleu… la Terre… ça se voit dans sa danse…
Ça va mal, putain !
Les trois écrans géants derrière nous, s’allument. Défilent alors des images genre Yann-Arthus-Bertrand-je-vous-l’avais-bien-dit-du-haut-de-mon-hélico-regardez-un-peu-la-merde-dans-laquelle-on-est.
Pis, il y a des slogans en rouge sang.
« Plus d’un milliard de personnes meurt de faim.«
« La retraite à 70 ans… voir, plus de retraite du tout !«
« Le Peak Oil est passé… on va se chauffer au charbon.«
« Les jeunes au chômage, forcés de faire des stages bidons«
« On va tous mourir !«
Ça va vraiment mal putain !
Mais bon, vu qu’on n’est pas mainstream premier degré, il y a aussi des incrustations bordéliques et sans rapport, contrôlées en temps réel par un vidéaste influencé par Godard… des bouts de films de cul, de la F1, un égouttoir, John Wayne… ça s’enchaîne…
La Terre se tortille.
Trois danseurs habillés en fuseau moulant et noir la rejoignent sur scène. Ils font mine de vouloir la violenter sévère. Mais attention, houla, toujours très danse contemporaine. Très symbolique.
La Terre prend peur. Elle repousse les assaillants. Gracieusement. Chorégraphié au poil de cul.
Sur les écrans, un œuf au plat.
Moi, je chante les yeux fermés, habité par les paroles. Fred grattouille son ukulélé.
On en fait des caisses.
Le mec des lumières est en transe: ça clignote dans tous les sens.
C’est le moment.
La batterie va rentrer.
Le régisseur plateau appuie sur un bouton.
Le rideau tombe, découvrant une chorale africaine habillée en habit traditionnel.
Et puis Phil Collins à la batterie. Le « Tam Ta-dam » comme personne.
On l’a harnaché dans la même cage qu’utilisait Tommy Lee pour Mötley Crüe.
Phil Collins fait des loopings.
Un éléphant entre sur scène.
Le chœur africain bouge en cadence en faisant « Yeeeeeahhhh Oh« , les bras au ciel.
La Terre semble épuisée à force de refouler ses agresseurs.
Une poupée gonflable géante représentant Dalida dans sa robe à paillettes se dresse lentement.
Genre :
Mais bon, moins sexe quand même.
L’éléphant fait caca. Un homme se précipite aussitôt, une pelle à la main, pour nettoyer.
Sur les écrans, un paquet de chips.
Puis en rouge sang:
« On consomme comme des cons«
Des enfants déguisés en puits de pétrole, en billets de banque, en fusils, en plants de mais (avec OGM marqués dessus)… accourent et encerclent la terre…
Un homme fringué en zoulou se détache du chœur africain pour aider la nudiste…
À peine a-t-il fait deux pas que l’enfant travesti en gun se retourne pour lui faire face.
Le zoulou s’écroule.
La Terre aussi…
Un cracheur de feu projette des flammes au dessus de leur corps inertes, puis entame un slam rageur: « Yeah… yeah… check one two… one two… yeah… est-ce bientôt fini ?… peut-être, qu’est-ce j’en sais ?… yeah… kiffe donc cette mélodie… yeah… yeah… vas-y, bouge tes pieds !… du BRRUIIIITTT !!!«
Les enfants/objets capitalistes sautent de joie. Celui représentant un puits pétrolier s’assied sur la schtroumpfette à poil et aussitôt un jet continue noirâtre jaillit du pylône.
Un magicien en smoking apparait dans un éclair de fumée. Il fait quelques passes mystérieuses avec ses mains.
Pouf ! L’éléphant se volatilise.
Pouf ! Le zoulou et la Terre envolés.
Le magicien salue la foule.
La chorale africaine fait « Yeeeeahhh Oh » !
Phil Collins fini par gerber du haut de sa cage tourbillonnante.
Fred et Moi, le poing tendu: « Est-ce bientôt fini ?«
Au premier rang, les groupies qui avait campé derrière les grilles une semaine avant le concert, sont en pleurs. Elle n’ont même plus le cœur à soulever leur tee-shirt « I ♥ Donna » et nous flasher.
Au paroxysme de la montée musicale, Fred dit :
– Ladies and Gentlemen, please welcome Mister Jimmy Page !
Hourra de la foule.
Jimmy Page entre. Les cheveux. La Les Paul. Solo les gars !
Derrière, sur les écrans, en rouge sang :
« Est-ce bientôt fini ?«
Des feux d’artifice éclatent dans le ciel. Des colonnes de lumière type « boîtes de nuit de province » déchirent la nuit.
Jimmy Page glisse sur la flaque de vomi.
Et puis finalement, la musique s’arrête d’un coup.
Sur les écrans, au : « Est-ce bientôt fini ? » se succède :
« OUI !«
L’espoir. La fin. La mort.
Le public exulte.
…
…
….
Alors ?
Alors ?
Avouez que notre version est bien meilleure que le « Earth Song » que s’apprêtait à faire Michael Jackson pour ses derniers concerts, hein ?
PS : Maintenant, pour ceux qui nous suivent depuis belle lurette et qui se demandent: « Ben, ils se renouvellent au niveau paroles ? C’est plus les trois mêmes phrases mises dans un ordre différent ?« . Tiens, je veux ! On a pris des chansons de Dalida, on en a extrait des bouts de parole, puis on a agencé le tout d’une façon harmonieuse. Du « one-shot-text-sampling ».