Année: 2001
Album: Donna – La Mort [2001]
Auteur: Olivier Larvor
Résumé: on a fait tourner des tuyaux au-dessus de nos têtes et ça faisait « ssssshiiiiiiiii ».
A l’époque, j’habitais sur Dublin avec ma sœur, dans un petit appartement que l’on avait eu du bol de trouver au vu de la pénurie, ô combien pénible, sur le marché locatif irlandais.
Il y avait eu une sélection sévère n’empêche, mais le proprio avait fini par nous accepter grâce au rentre-dedans poussif de ma sœur.
Je dormais sur le canapé du salon et me rendais au travail en vélo, celui-là même gentiment offert par ma boîte “précédente” (Iomega…voir texte “la lettre du pleurnichard”) comme cadeau de licenciement.
Licenciement économique j’entends bien.
L’informatique.
Les années 2000.
La merde.
D’ailleurs, elle avait été plutôt cool ma boite “précédente”.
Le PDG, un jeune allemand commençant à se dégarnir sérieusement, avait semblé bien plus affecté que moi à la remise de ma lettre de dégraissage.
“Je ne sais pas quoi te dire” qu’il m’avait fait.
Qu’est-ce qu’il y pouvait, lui.
Les circonstances.
Ce fut de l’abattage.
Un bon paquet à nous faire lourder : sur cinquante employés, il n’en avait conservé qu’une dizaine.
Nous faisant passer un par un dans son bureau pour nous annoncer le dénouement.
Certains pleuraient en sortant de l’entretien.
Des choses que je peux comprendre.
J’avais gagné un vélo dans un carton, en pièces détachées.
Il était mal agencé mon vélo.
De ma faute.
J’avais monté la roue avant à l’envers.
Si, si, c’est possible.
Ce qui me faisait tout drôle dans les virages d’ailleurs.
T’avais comme l’impression de te casser le gueule, mais en fait non.
A part une fois, évidemment, mais là, je n’y étais pour rien, une bagnole avait débouché un peu vite.
Je m’étais retrouvé au sol après un dérapage maladroit.
Mon premier réflexe fut d’ouvrir et fermer les mains comme un cinglé, provoquant l’hilarité du conducteur.
“Au moins elles fonctionnent toujours, tes mains” qu’il m’avait dit.
Le sale con.
Ca m’aurait fait chier d’en perdre l’usage, j’y croyais encore en mes chances de musicien de génie potentiel en devenir.
Avec les filles qui te bouffaient des yeux au premier rang.
De la bêtise sans nom.
C’était toujours la même chose. Je sécurisais mon vélo et pénétrais dans le bâtiment.
Une fois à ma station de travail, je vérifiais la progression des téléchargements Peer-to-Peer et zieutais la liste des films divx mis en partage par mes collègues.
Je m’en choisissais un ou deux à regarder dans la journée.
Que des merdes, c’était affolant.
Les derniers trucs qui pétaient dans tous les sens.
Bon, c’est vrai qu’on n’en branlait pas une.
En même temps, on n’était pas bien rémunérés non plus.
Je me disais que je devrais mettre à contribution tout ce temps libre pour avancer mes textes, commencer à écrire mon bouquin, faire l’artiste.
Ca ne prenait pas, repoussant au lendemain.
J’étais vraiment trop gland.
Maintenant, les choses bougeaient.
Des signes qui ne trompaient pas.
J’en étais persuadé : c’était là, à portée de main.
Une participation à une compilation de musiciens amateurs cons comme des balais avait provoqué quelques remous.
On nous sollicitait.
Qui ca ?
Des paumés, tiens !
Un gars à la tête d’un micro-label.
Un casse-couille avec une fine moustache bien hideuse.
Il se faisait appelé Magnétophone sur les mailing-lists.
Il voulait nous produire.
Mais bon, on s’est engueulés quasi immédiatement.
Un neurasthénique aux idées arrêtés, ce connard.
Une année après notre première rencontre, il développa un acouphène sévère.
Un concert un peu violent qui lui avait bousillé une des ses oreilles.
Un buzz permanent.
Ca le rendait fou, le Magnetophone.
Un temps, il parla de se suicider.
Et puis, il se résigna et fit ce qu’il fallait faire au vue des circonstances.
La seule chose à faire.
Ouvrir un blog et écrire comment qu’il était tout malheureux tout plein avec la sonnette détraqué qui faisait ding-dong en permanence dans ses portugaises.
Nos relations s’étaient quelque peu envenimé lorsque j’ai marqué sur un forum :”Magnetophone, ça rime avec sonotone”.
Houla, il l’avait mal pris.
De tout façon, il n’avait pas d’humour, ce con
Sans intérêt.
Bon, revenons à nos cochons.
On nous sollicitait.
Il y avait aussi un couple à la tête d’un autre micro-label.
Déjà bien mieux.
Un semblant de réputation dans le milieu indépendant.
Hinah, vous connaissez (www.hinah.com) ?
Le journaliste bébête J.D Beauvallet aurait ces mots dithyrambiques à leur propos dans le numéro cul de l’année 2006 des Inrockuptibles : «[…] excellent Label […] ».
C’est pour vous dire, je me sentais plus pisser.
Nous avions donc accepté, sans nous faire prier, de faire une sortie album chez Hinah.
Notre première sortie Label !
Chouette, ca.
Et même si c’était à 50 exemplaires, et même si on n’allait pas recevoir une thune, et même si c’était gravé sur des CD-R, et même si la distribution était super confidentielle, et même si on n’allait toucher qu’une population mâle coincée du cul… c’était un début.
Alors, on voulait vraiment marquer le coup avec Fred.
Il était temps.
Notre album sur la mort !
Fini de tourner autour du pot et jouer aux petits malins avec nos sous-entendus à deux balles.
Montrer ce que l’on avait dans le pantalon.
Que dalle !
C’était entendu donc.
J’avais des bribes de chansons enregistrées sur mon mini-disc Sony avec ma guitare acoustique pourrie.
J’ai envoyé tout ça à Fred afin qu’il applique ses talents de producteur/arrangeur dessus.
L’idée était d’avoir une base de morceaux que l’on puisse achever ensemble sur Paris, dans un laps de temps très court.
La qualité sonore et la mise en place n’avait que très peu d’importance.
Nous croyions – et croyons toujours…enfin, on a quelques doutes quand même – plus que tout en la Lo-Fi.
Si la chanson était bonne, peu importe si ça soufflait, craquait et vomissait.
L’essentiel était ailleurs : dans l’émotion.
Ouais, on n’était pas dans l’embarras avec notre caca.
Nous avons finalisé notre album chez Fred.
Paris XIII.
Décembre 2001.
Dans son appartement tout riquiqui aux murs épais comme du papier chiotte.
Pour ça, on les entendait bien les voisins se racler la gorge.
Les choses dont je me souviens pour cet enregistrement :
– les percus sur la poubelle,
– le tuyau que l’on tournoyait au-dessus de nos têtes, pour faire schiiiiiiii, comme dans les portugaises de l’autre con.
– le Korg MS-20 et ses sons merveilleux,
– nos tentatives à la flûte à bec,
– le chat de Fred qui se branlait sur nos pieds…
Nous avons fini en deux jours.
Qui dit mieux ?
Personne.
Les Hinah ont mis en vente notre album.
Plus tard, nous avons appris qu’ils ne l’avaient jamais écouté, traversant une phase de dépression, ils ne préféraient pas.
Personne je te dis
FIN